Les Barre font partie des dynasties des graveurs français entrées dans la légende mais, si leurs monnaies, leurs médailles, leurs timbres, leurs billets ou leurs sculptures sont connues de tous, eux le sont beaucoup moins.
Fils de Marie-Antoinette Mauroy — elle-même fille d'un limonadier — et de Jacques Barre — modeste ravaudeur de Montargis venu à Paris chercher un fortune qu’il n’avait jamais possédé — rien ne laissait présager de l’illustre destin qui l’attendait. Ses parents étant trop pauvres pour lui permettre de poursuivre des études au-delà de ce que pouvait permettre leur maigre budget, le petit Jacques-Jean, à peine âgé de douze ans, dut s’engager comme apprenti chez un certain Maître Hervieux, ciseleur, fondeur et doreur pour trois longues années.
Apprentissage qui allait en définitive marquer à jamais la destinée des Barre ?
Rien n’était moins sûr car, à l’issue de cet apprentissage, Jacques Barre mourra et laissera sa femme et son fils sans ressource aucune. Jacques-Jean, alors âgé de quinze ans, fera de son mieux pour les faire subsister sa mère et lui en acceptant pour cela chaque travail qu’on pouvait lui proposer.
Peine perdue ; c’est à peine s’ils arrivèrent à survivre.
En juillet 1809, la situation deviendra plus critique encore et, à seize ans, le jeune garçon se verra obligé d’accepter une proposition qui nous paraîtrait aujourd’hui révoltante : moyennant finance, il acceptera de prendre la place d’un fils de bonne famille ayant eu la malchance d’être tiré au sort pour servir son pays. Jacques-jean s'engagera donc pour cinq années sous les drapeaux mais, coup de pouce du destin, sera enrôlé dans les sapeurs-pompiers de Paris.
Si cette mésaventure l’a découragé ? Elle en aurait sans doute accablé beaucoup d’autres mais le jeune homme était fait du bois dont on taille les flèches : loin de se laisser abattre, il profitera de son temps libre pour compléter son apprentissage de ciseleur et il s’engagera comme ouvrier graveur à la Monnaie de Paris.
Pierre-Joseph Tiolier, Graveur Général des Monnaies, remarquera immédiatement les aptitudes du garçon et le prendra comme élève en 1811, année durant laquelle il épousera Marguerite Louise de Nogaret, fille d’un marchand bonnetier, qui lui donnera six enfants, dont les désormais célèbres Jean-Auguste et Désiré-Albert.
En 1814, enfin libéré de ses obligations militaires, Jacques-Jean deviendra très rapidement, sous la houlette de Pierre- Joseph Tiolier et de son fils Nicolas-Pierre, un artiste hors pair. Il s'établira même « graveur en médailles » aux 14 de la rue des Marais-Saint-Germain, aujourd’hui rue de Buci.
Nicolas-Pierre Tiolier succèdera à son père en 1817 et deviendra Graveur Général des Monnaies. Il n’oubliera cependant pas celui qu’il en est venu à considérer, au fil des années, comme un ami. Il confiera à Jacques-Jean Barre de très importantes exécutions de gravures et celles-ci vaudront au « fils du ravaudeur » une notoriété qu’il n’aurait sans doute jamais osé espérer.
« En 1838 » conte Henri Regnoul-Barre « Nicolas-Pierre Tiolier, pressentant une retraite proche, passa avec Jacques-Jean Barre un contrat, d'abord sous seing privé puis notarié, au terme duquel il s'engageait à présenter Barre comme son successeur et à faire tout son possible dans ce sens. En contrepartie, Barre devait racheter, dans des conditions de prix et de règlements précis, les matériels et outillages de Tiolier, autrement dit son fonds d'entreprise. »
En 1840, Nicolas-Pierre Tiolier, usé et las, démissionnera et, comme convenu, désignera son successeur : Jacques-Jean Barre. Le brave Nicolas-Pierre décédera malheureusement trois ans plus tard sans être vraiment rassuré sur l’avenir de son ami car la succession ne se passa pas aussi bien qu’on aurait pu s’y attendre. « Après certaines réticences, dont la présence du contrat était peut-être la cause » explique Henri Regnoul-Barre « Jacques-Jean Barre fut nommé le 14 septembre 1840 Graveur Général à titre provisoire, autrement dit à l'essai. Les grandes qualités de Barre firent cependant que le roi Louis-Philippe transforma, le 20 décembre 1842, cette nomination en celle de Graveur Général des Monnaies de France. (…) Épuisé par tant de labeur, Jacques-Jean Barre se verra cependant contraint par la maladie de transmettre ses fonctions à son fils Albert, déjà son graveur adjoint par arrêté ministériel du 23 décembre 1842. Par décret impérial du 17 janvier 1855 Albert Barre est nommé Graveur Général des Monnaies. Le même jour, un autre décret impérial décerne à Jacques-Jean Barre le titre de Graveur Général Honoraire des Monnaies de France. De tous les Graveurs Généraux français, Jacques-Jean Barre a été le premier à être gratifié de cette distinction. Jacques-Jean Barre mourut à Neuilly-sur-Seine le 10 juillet 1855 ; il était Officier de la Légion d'Honneur.»
Que de chemin parcouru par ce petit garçon trop pauvre pour fréquenter le collège, n'est-ce pas ? Aurait-il osé penser que certains des poinçons de garantie qu’il a gravé de ses mains seraient encore utilisés plus d’un siècle après lui ? Que son sceau de l’État français serait encore en vigueur 150 ans après sa mort ? Qu’il est, et restera à jamais, pour des générations de philatélistes, le créateur des premiers timbres français et grecs ?
Et pourtant, cher Monsieur Barre, et pourtant ! 😉
Un immense merci à ceux qui nous ont permis de rédiger cet article, de prendre les photos qui l’illustrent et dont nous mettons parfois la patience et la gentillesse à rude épreuve : Dov Zerah, bien sûr, directeur de la Monnaie de Paris, Jean-Marie Darnis, archiviste en chef de l’Hôtel de la Monnaie sans qui nous serions totalement perdus, Jean-Luc Desnier, chargé du Médaillier de la Monnaie de Paris et tous ceux qui nous ont aidé de leur mieux.