Les grands graveursLes Tiolier

Nicolas-Pierre Tiolier

(1784-1843)

Nicolas-Pierre Tiolier fait partie de ces graveurs dont tout le monde a entendu parler, mais au sujet duquel on ne sait finalement pas grand-chose car la documentation le concernant est à tout le moins « légère ». Partons à la découverte d’une légende de la gravure française…

Comme toute bonne enquête, la notre commence à l’endroit précis des faits, la Monnaie de Paris, où  de 1816 à 1840, Nicolas-Pierre Tiolier, comme son père avant lui, occupa la fonction très convoitée de graveur général des Monnaies de France.

Gravure de la Monnaie de Paris par Pierre Royer et Jac Cauchy en 1779. (Monnaie de Paris | Photo F.Neuwald)

C’est dans cette vénérable administration du quai Conti que nous attend le témoin numéro un de notre affaire : Jean-Marie Darnis, fondateur du Service Historique de la Direction des Monnaies et Médailles et responsable de la Bibliothèque et des Archives. Autrement dit : la mémoire vivante de l’institution.

Notre « mystérieux inconnu », il le connaît bien pour lui avoir consacré une étude très complète et s’être plongé jusqu’au menton dans la poussière à la recherche d’indices.

Dites-nous, monsieur Darnis : pourquoi avons-nous tant de mal à trouver des informations sur notre homme ?        

Jean-Marie Darnis dans les combles de la Monnaies de Paris. (Photo F.Neuwald)

J.-M.D : Parce que les sources écrites sont rares et fournissent très peu de renseignements tant sur sa vie que sur ses travaux. Ce fut Charles Gabet qui, le premier, en 1831 (de son vivant, donc), lui consacra une notice biographique dans son Dictionnaire des artistes de l’École française. Notice suivie, quelques années après sa mort, de celle de Jean-Baptiste de Vaucher, dans Archives des hommes du jour en 1848 (BN I, 8° Ln27 19651). Ensuite… silence.

Si bien que plus d’un siècle plus tard, Bellier de la Chavignerie et Auvray, en 1883, Forrer, en 1904, et Barbara Ernst dans Les Monnaies françaises de 1795 à 1848 en 1971 ne peuvent que répéter Charles Gabet. Notices de dictionnaires, documents d’archives (lorsqu’ils ont été retrouvés), mentions des œuvres de Nicolas-Pierre répertoriés dans les livres des Salons, les annales du musée et de l’Ecole moderne des beaux-arts de Landon et Tardieu, quelques éditions du catalogue des coins de la Monnaie de Paris (1817, 1827, 1833, 1892), ou inventaire des richesses d’art de la France (1887), constituent toute la bibliographie de Nicolas-Pierre Tiolier.

Mais enfin… Il sort bien de quelque part, ce garçon, non ?

J.-M.D : Oui. Le 9 mai 1784, rue Baillette, paroisse de Saint-Germain- l’Auxerrois, à Paris, Pierre-Joseph Tiolier et Marie-Marguerite Grosos vécurent, comme tous les parents de cette époque, ce qui fut probablement d’un des plus beaux moments de leur vie : la naissance de leur premier enfant de sexe masculin, qu’il prénommèrent Nicolas-Pierre.

Louis Philippe I. Essai concours de 5 francs uniface en cuivre plaqué argent de l'avers. 1830. Graveur Nicolas Pierre Tiolier. (Monnaie de Paris | Photo F.Neuwald)

Un enfant « mâle » destiné à marcher sur les traces de « papa » ?

J.-M.D : Pour ainsi dire car, dès sa plus tendre enfance, ses parents le vouèrent aux arts, ce qui était loin de lui déplaire. Adolescent, il suivit, par l’entremise de son père, les leçons de Dejoux pour le dessin et de Jeuffroy pour la gravure en pierres fines. Mais sa passion pour le métier de médailleur-sculpteur naîtra ici, quai Conti, dans l’enceinte de l’hôtel des Monnaies, en compagnie de gens tels que les chimistes Guyton de Morveau, Sivard de Beaulieu, D’Arcet ou encore l’inspecteur général des Monnaies, Gengembre, qui venait alors de se faire un nom dans le domaine du monnayage mécanique. Ils travaillaient et vivaient tous ici. Nicolas-Pierre a donc eu tout le loisir de les fréquenter.

Module de 2 francs en bronze pour la visite de la monnaie le 27 décembre 1809 par S.M. le Roi de Wurtemberg Gravé par Nicolas Pierre Tiolier. (Monnaie de Paris | Photo F.Neuwald)

Vivaient ? Voulez-vous dire qu’ils habitaient ici ?

J.-M.D : Mais oui ! Ils étaient logés sur place. Admis dans le cabinet de travail de son père, récemment nommé Graveur Général des Monnaies, Nicolas-Pierre y fit même probablement la connaissance d’Antoine Mongez, ancien chanoine et bibliothécaire, chimiste et historien de l’antiquité grecque et romaine nommé administrateur des Monnaies jusqu’en 1814. Je me demande même à quel point ce ne fut pas Mongez qui lui conseilla de participer, pour l’Académie impériale, au premier concours de gravure en pierres fines qui eut lieu en 1805. Le sujet proposé ? Le génie de la gravure présentant un cachet à l’Empereur qui lui donne une couronne. Tiolier en sera l’unique et l’heureux lauréat.

Un séjour à la villa Médicis bien mérité, donc ?

J.-M.D Tout à fait. Et son séjour en Italie sera relativement long, puisqu’il y restera de 1806 à 1811. À la villa, le jeune Tiolier fut sans doute aussi chaleureusement accueilli que devait l’être Edouard Gatteaux, quelques années plus tard, dans la même discipline. Là-bas, il travailla énormément et prépara, avec un groupe d’artistes français, le salon de 1812 qui allait prochainement s’ouvrir à Paris. Il semblerait que Nicolas-Pierre y présenta un cadre renfermant plusieurs médailles gravées en creux et en relief mais nous n’avons pas plus de détails. Ce dont nous sommes certains c’est que, dès lors, il réclama sa part des travaux distribués par l’État et vous vous doutez bien que son père, sans doute le plus fidèle de ses « supporters », usa de son influence pour aider à l’ascension du jeune homme.

Charles X. Clichés unifaces plaqués or
de l’avers et du revers, essai de 10 F or
ND (1830). Graveur Nicolas Pierre Tiolier. (Monnaie de Paris | Photo F.Neuwald)

Pistonné, mhh ?

J.-M.D : C’est vrai mais l’avenir prouva que ce coup de pouce était justifié. Nicolas-Pierre marcha sur les traces de son père avec enthousiasme, luttant, avec la vivacité d’esprit et la fermeté qui seront les traits les plus marquants de son caractère, contre les difficultés. L’Administration des Monnaies ne s’y trompa pas et vit en lui un jeune homme bien prometteur. Dès le mois de septembre 1812, elle l’autorisa à remplir les fonctions de vérificateur des monnaies et de la garantie, afin de seconder son père. À la fin du mois d’avril 1814, Pierre-Joseph Tiolier, rallié par la force des choses au nouveau gouvernement et dans le but de voir son fils lui succéder dans la charge enviée de Graveur Général, confie à celui-ci la gravure du nouveau type monétaire à l’effigie de Louis XVIII, prévue par l’ordonnance royale du 10 mai de la même année. Dans la même période, d’après les dessins du baron Gérard, Nicolas-Pierre Tiolier grave le grand sceau et le contre-sceau du roi. Il en concevra tous éléments, depuis la cire jusqu’à l’acier, et sera même chargé de l'exécution. Il présentera ce travail au salon de la même année. Quelques années plus tard, en 1827, il réalisera aussi ceux de Charles X, puis de Louis-Philippe d’Orléans. Le triomphe de Nicolas-Pierre s’annonçait et ce succès ne passa pas inaperçu à la Cour. Il fut le prélude à son destin puisque deux années plus tard, le 11 septembre 1816, il fut nommé par ordonnance royale, Graveur Général des Monnaies, en remplacement de son père démissionnaire. Il n’avait alors que 32 ans.

Bien jeune, pour Graveur Général, non ?

Nicolas Pierre Tiolier par Charles René Laitié (1782 – 1862). (Monnaie de Paris | Photo F.Neuwald)

J.-M.D : Jeune et prolifique ! Non seulement dans le domaine de la médaille ou de la pierre fine, mais également, et surtout, dans celui du numéraire, pour lequel sa compétence technique sera essentielle. Nicolas-Pierre avait de multiples talents. Aussi ne manqua-t-il pas d’apporter son concours à des progrès particulièrement marquants. En 1830, par exemple, il participa aux travaux de Moreau sur la virole brisée, et de 1833 à 1839, à ceux de Thonnelier sur la presse monétaire. En 1832, il prêta également assistance aux chimistes D’Arcet et Gay-Lussac pour l’application, au laboratoire de la Monnaie de Paris, du mode d’essai de l’argent par la voie humide. Ces évolutions techniques coïncidèrent avec la révision du système monétaire français. Les arrêtés et ordonnances se succédaient en effet à cette époque, pour améliorer la monnaie.

Eut-il son mot à dire ?

J.-M.D : Oui. Nicolas-Pierre Tiolier participa aux commissions des réformes monétaires, notamment à celle de 1834, ayant pour but d’uniformiser le principe décimal et à celles de 1837 et 1839, concernant les projets de refonte des monnaies de cuivre. En ce domaine, Tiolier fut l’un des principaux artisans, au niveau technique, de la monnaie divisionnaire. Il lui fallut réaliser les coins, les poinçons et les matrices, rédiger de nombreux rapports, surveiller l’outillage, etc. Malgré le travail abattu, son activité lui permit encore de consacrer une partie de son temps à la médaille officielle.

Charles X. Cliché uniface plaqué or du revers, essai de 100 F or ND (1830). Graveur Nicolas Pierre Tiolier. (Monnaie de Paris | Photo F.Neuwald)

Avait-il à ce point besoin d’argent pour travailler de la sorte ?

J.-M.D : Non. Tiolier possédait une fortune considérable, principalement immobilière. Outre son vaste appartement de fonction, qu’il occupait à la Monnaie, dans l’ancien hôtel Laverdy, il possédait, par héritage, une maison sise au 26 de la rue du Coulon, un appartement au 29 de la rue Neuve-Saint-Eustache, l’ancien petit hôtel Crisenoy au 16 de la rue de la Coquillière et un autre petit appartement au 9 de la Grande-Rue-Verte.

A-t-il eu des descendants ?

J.-M.D : Le 27 mars 1817, il épousa Adélaïde-Sophie Cléret. Il fut bientôt père de trois enfants, deux filles et un garçon.

Louis XVIII. Médaille d’honneur en bronze,
« A. Michallon – Ses amis » 1823. Graveur Nicolas Pierre Tiolier. (Monnaie de Paris | Photo F.Neuwald)

Il ne devait plus avoir une minute à lui, cet homme ! 

J.-M.D : Et pourtant ! Figurez-vous que malgré les rares moments que lui laissaient ses activités officielles et sa famille, Tiolier trouva le temps nécessaire pour composer des médailles d’art, des pierres fines et des jetons, tel celui de Michallon en 1823. De 1812 à 1821, notre homme sera un fidèle exposant des Salons. À ces salons figureront encore ses sculptures, aujourd’hui inconnues du public, mais qui furent l’expression de ses aspirations profondes. Nicolas-Pierre s’en était imprégné lors de son long séjour en Italie, où il s’inspirait à la fois des bas-reliefs et des fresques. L’art de Tiolier, comme son intérêt pour les techniques, sont essentiellement fondés sur le goût de la tradition. En fait, le fils comme le père ne chercheront jamais à plaire, mais à s’exprimer avec clarté dans cette perspective.

Une vie heureuse et bien remplie, en somme ?

J.-M.D : Les années qui s’échelonnèrent de 1816 à 1839 furent bonnes et fécondes pour notre artiste, en effet. Mais au début de l’année 1839, la mort lui arrache son épouse, qui meure subitement le 11 février, âgée de 43 ans.

Essai uniface en cuivre plaqué argent pour la pièce de 5 francs 1830. Graveur Nicolas Pierre Tiolier. (Monnaie de Paris | Photo F.Neuwald)

En a-t-il été très marqué ?

J.-M.D : Probablement car, à compter de ce décès, lui-même se sent fatigué et songe à se retirer mais dans le même temps, la commission des Monnaies et Médailles souhaite appliquer à nouveau le décret promulgué comme loi, le 28 juillet 1791. Ce décret stipulait que la nomination de Graveur Général des Monnaies devait se faire par voie de concours et, pour Tiolier, c’était une catastrophe car cela signifiait qu’il ne pouvait plus choisir celui qui le remplacerait. Nicolas-Pierre se battit comme un lion pour faire plier la commission et biaisa, imposant le successeur qu’il s’était choisi comme Graveur Général par intérim. Il put alors se retirer pour finir paisiblement ses jours dans l’appartement qu’il possédait Grande-Rue-Verte.

Charte de 1830, projet pour la pièce de 5 centimes. Fonte au module de 117mm. La gravure du coin sera exécuté et signé par Jacques-Jean Barre. Graveur Nicolas Pierre Tiolier. (Monnaie de Paris | Photo F.Neuwald)

Nicolas-Pierre Tiolier s’y éteignit trois années plus tard, le 25 septembre 1843, heureux d’avoir pu passer la main à l’un de ses plus fidèles serviteurs, fils d’un modeste ravaudeur et d’une fille de limonadier trop pauvres pour lui avoir permis de poursuivre des études passés ses 11 ans. Un maître graveur encore inconnu à l’époque, arrivé là à la force des poignets, et qui allait devenir d’un des « monstres sacrés » de la gravure française : Jacques-Jean Barre.

Ah ! Il n’avait pas que du talent, notre mystérieux graveur, il avait aussi du flair ! 😉

Un grand merci à M.Dov Zérah, directeur de la Monnaie de Paris et à MM. Darnis et Indrigo, sans l’aimable collaboration desquels ce dossier n’aurait jamais pu être réalisé

Cristina Rodriguez

Article précédemment publié dans Numismatique et Change N°378 Janvier 2007

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