Monnaies

Le concours monétaire de 1913

Ce fut en 1913 que naquit la légendaire 25 centimes « Lindauer ». Cette monnaie aurait pu être tout à fait différente car le projet du célèbre graveur n’était qu’une proposition parmi bien d’autres, fruit d’un concours acharné. Voici les dessins originaux des candidats de ce concours mythique !

Jean-Marie Darnis (Photo F.Neuwald)

C’est dans les archives de la Monnaie, que nous parcourions avec Jean-Marie Darnis, fondateur du Service Historique de la Direction des Monnaies et Médailles et responsable de la Bibliothèque et des Archives de l’institution, que nous tombons sur une grosse boîte bleue dont une inscription au crayon éveille notre curiosité : « CONCOURS 1913 ».

Nous ignorions que nous venions de tomber sur une véritable rareté, des documents auxquels seul l’archiviste avait eu accès jusqu’à ce jour.

« Il s’agit du concours monétaire qui a donné naissance à la 25 centimes Lindauer. » Explique-t-il avec un sourire amusé en nous voyant écarquiller les yeux. « L’un des rares concours dont nous possédons encore les projets. »

Il sort la boîte de l’étagère et, impatients comme des bambins attendant l’ouverture des paquets le soir de Noël, nous nous installons sur le vénérable parquet ciré de la bibliothèque, le mystérieux contenant cartonné bien à plat entre nous.

Dans le silence feutré de ce lieu hanté par les fantômes de Varin, Dupré, Dupuis et de bien d’autres, nous écoutons d’une des incroyables histoires numismatiques dont Jean-Marie Darnis a le secret.

Projet de Demizel. (Monnaie de Paris | Photo F.Neuwald)

Avec son humour habituel, il nous raconte que lors que son arrivée dans l’institution, le service des archives était pour ainsi dire inexistant. Rien d’étonnant à cela puisque… c’est qui l’a créé !

« Lorsque j’ai demandé à consulter les archives pour les besoins d’un travail universitaire, on m’a tendu, après avoir dû insister lourdement, un gros trousseau de clés. On m’a désigné les sous-pentes de l’édifice et on m’a dit : « si vous tenez à fouiller là-dedans, bon courage ! ». »

Projets d'Édouard Fraisse (1880-1945). (Monnaie de Paris | Photo F.Neuwald)

Et lorsque Jean-Marie Darnis ouvre la porte donnant accès aux fameuses sous-pentes… cauchemar ! Des milliers de feuilles, dessins, vieux cartons parsèment le sol envahis de détritus et de déjections de rats, de chat et de mieux vaut ignorer quoi d’autre. À croire que des dizaines d’années de paperasse de toute sorte avaient été jetées là comme à la décharge.

Après deux guerres, l’affolement et les déménagements provisoires qu’elles avaient dû entraîner, les « papiers » devaient être le cadet des soucis de l’institution, et personne ne s’était donné la peine — ou n’avait eu le courage — de « remettre le nez » dans ce « dépotoir » depuis lors.

C’est pourtant dans le « dépotoir » en question que l’archiviste va découvrir de véritables trésors : dessins originaux des plus grands graveurs, projets, objets, documents inestimables, etc.

Projet de E. Piet. (Monnaie de Paris | Photo F.Neuwald)

Armé de gants en caoutchouc et d’un arsenal digne d’un pro du nettoyage et de la dératisation, Jean-Marie Darnis passera des semaines à trier et à sauver tout ce qui peut l’être encore. Et durant les 30 années suivantes, il se consacrera à créer des archives dignes de ce nom. Il va répertorier, classer et faire restaurer des milliers de documents, témoignages et objets divers.

Si, aujourd’hui, les archives de la MdP sont un véritable trésor patrimonial que les directeurs successifs ont pris soin de conserver dans les meilleures conditions possibles, c’est à cet étudiant entêté passionné d’histoire que nous le devons.

Est-ce donc par miracle que ces dessins du concours de 1913 ont échappé au rats ou, pire, à la poubelle pour parvenir jusqu’à nous ?

En fait, non. D’après l’une des hypothèses de Jean-Marie Darnis, ce serait plutôt grâce à la guerre, si tant est que la guerre puisse apporter quelque chose de bon.

Projet de Merot. (Monnaie de Paris | Photo F.Neuwald)

« La coutume veut que les projets des concours soient renvoyés aux participants après la sélection finale. » Explique-t-il. « Mais nous étions alors à l’aube de la Grande Guerre et on imagine aisément que les préoccupations devaient être autres que celles de renvoyer une pile de dessins. »

Ces derniers sont donc restés dans les « archives » et, pour la première fois depuis presque un siècle, vous pouvez en admirer quelques uns ici.

Mais revenons à notre mystérieuse boîte de carton bleu.

Mes mains tremblent en peu, je l’avoue. Jean-Marie Darnis me regarde soulever le couvercle avec ce sourire bienveillant et amusé que je commence à bien connaître et qui semble dire : « Alors, gamine ? Peur d’être décoiffée par le vent de l’histoire ? Tu ne croyais quand même pas que ce malin d’archiviste n’arriverait plus à te surprendre ! »

Et en guise de coup de vent, c’est une véritable tornade qui m’attend. Soigneusement classé dans des chemises, le passé refait surface sous mes yeux. Tout commence par un exemplaire du Journal Officiel du 7 août 1913 annonçant : « Loi du 4 août 1913 portant sur le retrait des monnaies de billon en circulation et leur remplacement par des monnaies de nickel perforées. ».

Tout un programme…

Le sort en est donc jeté et le concours lancé. Un appel à artistes est publié, destiné à réunir le plus de projets possible afin de décider de l’aspect de la future monnaie.

Avec mille précautions, je déplie une vieille affiche, si abîmée qu’elle est presque impossible à manipuler : « AVIS DE CONCOURS ».

Projet d'Edmond Henri Becker (1871-1971). (Monnaie de Paris | Photo F.Neuwald)

Dans la chemise suivante, je trouve, non sans une certaine émotion, des documents qui me propulsent un siècle en arrière, lors de la préparation du concours : un brouillon de note interne signée du Directeur de la Monnaie de l’époque concernant les modalités, un projet de décret du Président de la République annoté à la plume, des coupures de journaux, des notes de services, des tapuscrits corrigés à plusieurs reprises. L’histoire respire sous mes doigts et la sensation en est indescriptible.

Tombe alors entre mes mains une entrevue accordée par monsieur Lindauer à l’un de mes confrères de l’époque, Paul Lagardère. En illustration, une photo du graveur et sa création. Le célèbre graveur a désormais pour moi une voix et un visage.

En lisant son témoignage à haute voix, un rire irrépressible nous saisit. Lui que l’on associe irrémédiablement à la célèbre « monnaie trouée », à laquelle il est si définitivement lié qu’elle porte jusqu’à son nom, termine son interview par ces mots :

« J’ai voulu faire une monnaie, une vraie monnaie… Et j’aurais fait beaucoup mieux s’il n’y avait eu ce satané trou ! ».

Eh, oui ! Ce trou qui l’a rendu célèbre, le trou mythique, le graveur le détestait. Pauvre Lindauer !

Mais son dessin original a-t-il échappé à l’humidité et à la destruction ? Oui, et vous pouvez l’admirer ici, parmi ceux d’autres concurrents. Ces témoignages vivants de l’histoire sont désormais bien à l’abri de leur carton à dessin, soigneusement répertoriés et classés.

5 Projets de Jean Costet. (Monnaie de Paris | Photo F.Neuwald)

En parcourant ces dessins, admiration, étonnement et fou rire nous assaillent tour à tour. Les plus grandes signatures côtoient celles des amateurs qui ont simplement tenté leur chance (sait-on jamais ?).

Parmi ces derniers, quelques projets sont très osés, voire coquins. Certains, comme celui de Chardon, sont d’une naïveté touchante et d’autres encore d’une maladresse qui ne se cache même pas, comme en témoigne le petit message écrit à même son projet par un concurrent :

« Je sollicite avec insistance la plus grande indulgence pour l’incorrection du dessin. Je n’ai jamais su dessiner. » !

Est-ce que certains blagueurs ont profité de ce concours pour s’en donner à cœur joie ? Sans doute. Mais ils ont au moins eu le mérite (ou l’audace) d’y participer. Ne leur jetons pas la pierre et évitons ne nous interroger sur la pertinence de conserver ou non leurs dessins car, en compulsant les documents de cette époque, je ne peux m’empêcher de me demander si ce ne fut pas là leur dernière farce.

Projet N°2 d'Eugène Serre. (Monnaie de Paris | Photo F.Neuwald)

La première guerre mondiale, qui débutera quelques mois plus tard, fera 9 millions de morts. Qui saurait dire combien de participants à ce concours se trouvaient parmi les victimes ?

À tout prendre, je préfère une farce pour souvenir plutôt qu’une croix.

Résultats du Concours Monétaire de 1913. (Monnaie de Paris | Photo F.Neuwald)

 

Un immense merci à la Monnaie de Paris et à Jean-Marie Darnis, qui n’en finira décidément jamais de nous surprendre ! 😉

Cristina Rodriguez

Article précédemment publié dans Numismatique et Change N°374 Septembre 2006

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