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Et si on parlait de perruques ?

Là, vous vous dites : « Ça y est ! Ils ont pété les plombs, chez ACME Collections. » 😆

Mais non, rassurez-vous. Dans le monde de la numismatique, les perruques existent aussi. Ce sont des « choses » frappées illégalement avec d’authentiques coins de production dans l’unique but d’être vendues sous le manteau à un collectionneur.

Pourquoi appeler ça des perruques ? Parce que ces objets sont comme les postiches, fabriqués pour ressembler à de vrais cheveux, et tromper leur petit monde. C’est un peu le Canada Dry de la numismatique (les plus vieux comprendront, et pour les autres : https://youtu.be/TV3-q2_KFS8 ). 😎

Regardez la monnaie de la Figure 1

Non, non, vous n’avez pas la berlue, c’est bien une monnaie avec deux revers.

“Mais comment c’est possible, un truc pareil ?”

Cette monnaie a été fournie avec une notice explicative sur son origine. Voici cette jolie histoire : un jour, lors de la frappe des 50 centimes, l’opérateur de la presse s’aperçoit que le coin d’avers vient de casser. Il arrête donc la machine et appelle son collègue, « le préposé aux coins ». Oui, car à en croire l'auteur de cette notice, le monnayeur – l’opérateur de la presse – n’aurait pas accès aux coins, et ce ne serait même pas lui qui les monterait sur la presse. Il demande donc à son collègue « préposé aux coins » (appelons-le Roger) de bien vouloir changer le coin d’avers sur sa presse. Et voilà que ce bon Roger confond les coins, dites ! Parce que non seulement le Roger, il a monté un coin de revers au lieu d’un avers, mais il s’est de surcroît trompé de divisionnaire !

Alors, d'après vous ? Roger a-t-il de sérieux problèmes de vision, ou a-t-il abusé du Pastis à la pause ?

Plus sérieusement, on pourrait presque y croire si cela se passait réellement ainsi à la Monnaie. Mais ce n’est pas le cas. Le travail du monnayeur ne consiste pas uniquement à appuyer sur un bouton et à récupérer les monnaies dans un seau. C’est bien lui qui monte aussi les coins sur sa machine.

Pour frapper une série de monnaies, il commence par vérifier sa presse, et demande à “Roger” de lui fournir une paire de coins correspondant au divisionnaire qui doit être fabriqué. Ensuite, il monte les coins dans sa presse, et applique les réglages spécifiques pour cette monnaie, car les réglages ne sont pas les mêmes pour une pièce de 1 euro que pour une pièce de 20 centimes. Une fois la presse prête, quelques monnaies sont frappées à très faible vitesse pour vérifier que tout se passe correctement.

Donc, si un coin de revers de 20 centimes était monté dans la presse destinée aux 50 centimes, l'un des deux hommes s'en apercevrait aussitôt. L’explication de l’erreur de coin ne tient donc pas debout.

Maintenant admirez ceci.

Une jolie 20 francs George Guiraud 1950 | F.401 en argent avec la tranche striée. Un essai, quoi.

Mouais…

Quel peut bien être l’intérêt de frapper une épreuve en argent d’une monnaie qui a vocation à être en bronze-aluminium ?

Aucun.

Pourquoi en faire deux, dans ce cas ? Car figurez-vous qu'il existe aussi un exemplaire au type F.402-3, c’est-à-dire avec la signature G. Guiraud.

Faire une frappe en argent d’une monnaie qui doit être en bronze-aluminium n’a aucun intérêt. Et regardez bien les tranches. Elles sont identiques sur les deux exemplaires. Ce n’est pas, comme le précise le Gadoury Vert, une tranche cannelée, mais bien un flan tranche strié frappé dans une virole pleine.

Sur la Figure 4 nous pouvons en effet distinguer l’aspect singulier de cette tranche. On voit nettement que les parties hautes des stries ont été écrasées et ont formé ces pseudo cannelures irrégulières.

Quel enseignement les ouvriers de la Monnaie de Paris pouvaient-ils donc espérer d’un tel processus ? Mystère !

S'il s'agissait vraiment d'essais de fabrication, pourquoi s’embêter à demander une autorisation d’utilisation de métaux précieux ? Pour le seul plaisir de créer un flan avec une tranche striée dont les stries seraient détruites au moment de la frappe ? D'autant plus que, pour frapper une monnaie avec une tranche striée, il serait plus logique d’utiliser une virole striée lors de la frappe, non ? Enfin, ça paraîtrait du moins évident à n’importe qui !

Et pourquoi utiliser les deux types ? Qu’est-ce qu’ils pensaient découvrir avec le type F.402-3 qu’ils n’auraient pas vu avec le type F.401-1 ? Une seule frappe avec l’un des deux types aurait suffi à voir ce que pouvait donner une monnaie de 20 francs 1950 en argent. Pour comble d'étrangeté, le type avec la signature G. Guiraud (F.402) est postérieur de quelques mois au type avec la signature Georges Guiraud (F.402). Donc, soit un premier exemplaire avec la signature Georges Guiraud a été frappé, suivi quelques mois plus tard un autre exemplaire avec la signature G. Guiraud. Soit les deux exemplaires ont été frappés au même moment. Mais encore une fois, pourquoi utiliser le type avec la signature Georges Guiraud puisque celui-ci était abandonné ? Cela n’a aucun sens. Vraiment aucun. Ces frappes sont d'ailleurs faites avec des coins de production, et non des coins avec la mention ESSAI.

Il est donc plus que probable que ces monnaies ont été frappées pour être vendues à des collectionneurs.

Attention, toutefois, car tout ce qui est bizarre n’est pas forcément une perruque !

Cette 5 centimes 1914 en OR correspond-t-elle aux caractéristiques d’une perruque ?

L'intérêt technique de cette frappe en or est nul, car cette monnaie n’a jamais eu vocation à être en or. Cela ne peut pas être non plus une monnaie fautée. Le type existe depuis 16 ans (1897 essai / 1898 circulation).

Donc, perruque ou pas ?

En fait, cette monnaie est ce que l’on appelle une « monnaie de commande ».

Figurez-vous que jusqu’en 1914, il était possible de commander directement la frappe de n’importe quelle monnaie au bureau de change de la Monnaie de Paris.

Mais ce n’était pas sans condition :

– La monnaie devait être fabriquée dans un métal supérieur à celles en circulation.

– Une paire de coins en état de frapper devait être disponible.

– Et enfin, le Ministère des Finances devait donner son aval.

« C’est le premier avril, chez ACMECollections ? Ils nous mènent en bateau, c’est ça ? »

Pas du tout. Voici d’ailleurs, à titre d’exemple, Figure 6, l’une de ces autorisations de frappe, un document tiré des archives de la Monnaie de Paris (Ref #GA-1). Il s’agit d’un aval pour des frappes sur flans d’or à la demande d’un certain Monsieur Béhier. Suite à cette autorisation du 24 avril 1914 furent frappés 2 exemplaires de la 10 centimes et de la 5 centimes.

Et voici la 10 centimes :

Sur la Figure 7, on peut voir que cet exemplaire est décrit comme « Monnaie de présentation », alors que, comme nous venons de le voir, elle n’a été présentée à personne, ce n’est qu’une « Monnaie de commande ».

Pourquoi est-elle référencée ici comme « Monnaie de présentation », dans ce cas ?

C’est tout simple : rares sont les personnes qui, aujourd’hui, peuvent se permettre de faire des recherches sur la genèse d’une monnaie, et ce pour tout un tas de raisons. Vous imaginez, si un professionnel devait enquêter sur chaque monnaie de sa future vente avant de rédiger son catalogue ? Il lui faudrait un an pour terminer son bon à tirer !

Et c’est ainsi que, par exemple, l’information (pourtant cruciale !) qu'il était possible de commander à peu près tout et n’importe quoi à l’Hôtel de la Monnaie, est rapidement tombé (par commodité, par ignorance, par intérêt, ou par manque de temps) aux oubliettes…

Et maintenant une 20 Francs argent de 1912.

Quel est l’intérêt de cette frappe en argent d’une monnaie qui a vocation à être en or ? Surtout qu’il existe aussi un autre exemplaire en argent pour 1912, mais cette fois de 6.94gr, un piéfort.

Bien qu’étant au millésime de 1912, donc avant l’arrêt des « monnaie de commande », il est peu probable que ces deux monnaies en soient, car celles-ci devaient absolument être dans un métal supérieur. Elles auraient donc dû être frappées en Platine, et non en argent. Or, à ce jour, aucune « monnaie de commande » en platine n’a été référencée. Reste l’option de deux belles perruques non pas frappées en 1912… mais entre 1951 et 1960, au moment des refrappe Pinay (voir Le Franc 2019 page 778). Lors de ces refrappes, de nouveaux outillages ont dû être fabriqués et testés hors des chaines de production classique dans l’atelier des frappes spéciales. Il était alors beaucoup plus facile de faire quelques frappes « exotiques » destinées aux collectionneurs. 😛

 

Allez une petite dernière pour le plaisir !

Une magnifique 50 Francs Guiraud 1951 en or. Oui, oui, en or. Superbe non ?

Mais alors, si la frappe de 20 Francs 1950 en argent n’as aucun intérêt, que dire de cette 50 Francs Guiraud 1951 en or ? Non seulement il n’a jamais été question de frapper un nouveau divisionnaire en or, mais ce type fut adopté en 1950.

Comme nous l'avons vu, depuis 1914, il n’est plus possible de commander une frappe de ce type. Une perruque ? C’est peu probable, car en 1951 l’or ne circule plus, et fabriquer puis frapper un flan de 14.33gr. en toute discrétion n'a rien d'évident. Frapper en douce quelques flans en argent est une chose, mais dès que l’on touche à de l’or… ça fait jaser. Il aurait été très difficile de ne pas se faire prendre par ses supérieurs.

Cet exemplaire en or est donc très certainement ce que l’on appelle « une monnaie de complaisance ». C’est-à-dire une monnaie frappée sur ordre du directeur de la Monnaie de Paris dans le but d’être offerte à une personnalité V.I.P. (ministre, directeur de cabinet, ambassadeur, grand industriel etc…). Et cela sur décision propre du directeur de la Monnaie de Paris, ou sur demande d’un ministre, député ou sénateur de la majorité du moment.

Quelle différence entre une « Monnaie de commande » et une perruque ?

Les deux sont frappées avec des coins authentiques. Une perruque peut aussi être frappée dans un métal différent que celui de circulation. Les deux sont le plus souvent en parfait état, ou presque.

Alors, comment les différencier ?

En fait, c’est relativement simple : les monnaies de commande sont frappées dans un cadre légal, et sont toujours dans un métal supérieur à celui des monnaies courantes. Elles sont antérieures à 1915, et celui qui en fait la demande ne cherche en aucun cas à tromper un collectionneur sur son origine – pas au moment de leur fabrication, du moins.

Ce n’est pas le cas des perruques. Celles-ci sont frappées sans autorisation, et il y en a peu avant la 5ème république. Elles sont le plus souvent dans un métal vil, et leur but est bel et bien de tromper un collectionneur.

À noter aussi que les perruques ne sont pas forcément rondes et en métal, celles-ci peuvent être frappées sur une plaque de métal quelconque, un gros bout de plomb ou encore, sur du carton, comme sur la Figure 11, une perruque fabriquée lors de la fermeture de l’atelier de Rouen en 1857.

 

Quel type de perruques sont les plus courantes ?

Les « perruques » les plus couramment fabriquées sont des monnaies supposément fautées, car les collectionneurs en sont friands, et elles sont faciles à fabriquer.

Parmi les perruques les plus connues, on retrouve souvent :

– Une frappe dans un métal différent que celui prévu. En général un métal vil, comme le cupro-nickel, l’aluminium, le plomb etc. Plus rarement, en argent.

– Les frappes dans sur un module diffèrent.

– Les frappes double avers, ou double revers.

– Les hybrides, qui sont les plus impressionnantes.

Est-ce que cela veut dire que toutes ces monnaies fautées sont des perruques ?

Bien sûr que non.

Quelques pistes pour détecter une perruque

– Les perruques sont souvent des objets frappés dans les toutes premières années d’émission, car les gens s’imaginent que comme c’est nouveau, ça peut cafouiller plus facilement. Il est aussi plus facile de leur faire croire à des « erreurs de rodage », ce qui est bien sûr ridicule. Sans compter qu’il y a toujours plus d’attrait pour un nouveau type monétaire. Au bout de quelques années, l’intérêt des collectionneurs s’estompe.

– La frappe ou le métal utilisé n’ont aucun intérêt commercial ou technique.

– Les exemplaires sont le plus souvent en parfait état, ou n’ont que de légères traces de circulation. On glisse la perruque dans son porte-monnaie pendant quelques jours, et le tour est joué.

– Les revendeurs assurent généralement que cet objet a été trouvé dans la circulation, le fameux « on m’a rendu ça chez le boulanger », donné/vendu « par un employé de la monnaie », ou mieux, qu’il a été « trouvé dans un rouleau ».

– Techniquement, la raison de la frappe est inexplicable, ou aberrante.

Si à chaque fois que vous vous trouvez face à une monnaie un peu bizarre, vous prenez la peine de vous demander « Comment a-t-elle pu être fabriquée et dans quel but ? », vous arriverez à repérer les perruques, ou du moins, à vous méfier de ce que vous avez sous les yeux.

Pour conclure, il faut rappeler que les perruques, les monnaies de complaisance ou de commande ont leur place dans l’histoire de la numismatique. À la condition sine qua non que l’on ne cherche pas à les faire passer pour ce qu’elles ne sont pas. Les collectionneurs outre-Atlantique en ont même fait un thème de collection sous la jolie appellation d’« Assisted Error ». Les « Erreurs Assistées ». En voici une, d’ailleurs, qui fut des plus « Assisted », mais qui n’en reste pas moins une curiosité de médailler bien sympathique ! 😀

Si les perruques vous intéresse nous vous conseillons la lecture de :

Le monnayage et les monnaies fautées. 1780-2009, de Jean-Claude Chort

Et :

Franc 2019, de : Philippe Théret.

Ces deux ouvrages de référence vous permettront de vous familiariser avec les techniques de frappe et la création des types monétaire.

Voilà, nous espérons que cet article aura éveillé votre curiosité, et répondu à certaines de vos questions.

N’hésitez pas à nous faire part de vos remarques ni à nous faire parvenir vos articles, photos, enquêtes, ou reportages. Nous ne le répéterons jamais assez : chez ACME Collections, nous sommes ouverts à tout type de contribution et de demande, qu’il s’agisse de numismatique, ou d’autres collections !

Un immense remerciement à Laurent Bonneau, PCGS Europe, Jean-Marie Darnis, Jean-Luc Marechal ( 10francsgenie.fr ), Jean-Charles Viguier ( Des GAULOIS à nos jours, NUMISMATIQUE FRANCAISE | Rotylagriffoul – Les monnaies fautées – Identifications/Estimations ) et Philippe Théret ( Les Amis du Franc ) qui nous ont aidés dans la rédaction de cet article.

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